Brève histoire des mathématiques


« Toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même
homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. »
Blaise Pascal, Préface pour le Traité du Vide
« Sans un petit grain de métaphysique, il n'est pas possible, à mon avis, de fonder une science exacte. »
Georg Cantor
« D'où parle le mathématicien ? D'où vient-il ? Il n'est pas du Ciel, puisque son dire n'est jamais tout
entier déjà dit. Il n'est pas de la Terre qui nous tient d'autres discours ; nous « rencontrons » des cailloux et
des arbres. Mais trois caillloux, deux arbres ? Jamais. Pour les voir, il y faut déjà quelque opération.
On a beau enterrer Pythagore. Le sol qui le reçoit ne portera pas spontanément le fruit mathématique.
Quel est donc ce lieu où s'inscrit le texte selon lequel naît la stricte parole mathématique ? Mais parler ?
Qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Qu'est le lieu de ta parole quand tu ne parles plus ? Et ta « science »,
Archimède, quel devint son lieu à l'instant même où ⎯ dit-on ⎯ sur la plage déserte, un soudard qui peutêtre
ne parlait pas ta langue, t'a brisé la tête ? Elle était écrite, en partie. Par chance ? Par nécessité ? Et
pourquoi, écrite, n'a-t-elle pas dormi, inerte et tranquille ? Quel est dont ce lieu qui n'est ni Ciel ni Terre, où
la Mathématique, produite, peut ne pas mourir ? »
Jean Toussaint Desanti, Les Idéalités mathématiques.

1. Préhistoire des mathématiques : Égypte, Assyrie, Phénicie, Inde.
« Qu’il y ait eu une mathématique préhéllénique fort développée, c’est ce qui ne saurait
aujourd’hui être mis en doute. Non seulement les notions (déjà fort abstraites) de nombre entier et
de mesure des grandeurs sont-elles couramment utilisées dans les documents les plus anciens qui
nous soient parvenus d’Égypte ou de Chaldée, mais l’algèbre babylonienne, par l’élégance et la
sûreté de ses méthodes, ne saurait se concevoir comme une simple collection de problèmes résolus
par tâtonnements empiriques. Et, si l’on ne rencontre dans les textes rien qui ressemble à une
démons-tration au sens formel du mot, on est en droit de penser que la découverte de tels procédés
de résolution, dont la généralité transparaît sous les applications numériques particulières, n’a pu
s’effectuer sans un minimum d’enchaînements logiques. » (Bourbaki, Éléments d'histoire des
maths)
Le papyrus Rhind, rédigé par le scribe Ahmès vers 1640 av. J.C., est notre principale source
d’information sur les mathématiques égyptiennes. Il contient une table de division de 2 par les
nombres impairs compris entre 5 et 101, un recueil de problèmes arithmétiques concrets et
regroupés par thèmes (partages de pains selon divers proportions, opérations sur les fractions,
équations du premier degré, règle de trois, progressions arithmétiques et géométriques, etc), et une
section consacrée à la géométrie : volumes de récipients cylindriques et parallélépipédiques, aires
de triangles, rectangles, etc. L’aire d’un cercle de diamètre D est estimée à (8D/9)2. Ahmès déclare
avoir copié ces problèmes sur un document remontant à env. 2000 av. J. C.
Chaldéens : numération sexagésimale, premiers algorithmes, astrologie-astronomie et mystique
des nombres. En Hedu’Anna, fille de Sargon l’Ancien, premier roi d’Akkad, prêtresse de la déesse
de la Lune, est la première femme de science connue. Une tablette babylonienne de l’époque
d’Hammou-rabi (17ème siècle av. J. C.) enseigne l’art des équations du second degré : « Sachant
que x + y = 32 + 30/60 et x.y = 2.60 + 6, on cherche x et y. On remarquera pour cela que x.y =
(x+y)²/4 − (x−y)²/4 , on en tirera (x−y)/2, puis x et y. » Cette tablette se réfère aux Akkadiens, de
sorte que la méthode remonte peut-être à l’empire de Sargon (23ème siècle avant notre ère). Comme
les jeunes égyptiens, les jeunes mésopotamiens vont à l’école et apprennent la lecture, l’écriture, le
calcul. Assurbanipal (668-627) réunit à Ninive une immense bibliothèque (20000 tablettes
connues).
Panini (entre le VIè et le IVè siècle av. J.C.), grammairien du sanscrit, donne la première théorie
rationnelle connue de la phonétique, de la phonologie et de la morphologie.
2. Les mathématiques grecques.1
VIème siècle avant notre ère : La fondation pythagoricienne.
Les pères fondateurs : Thalès de Milet (625-547), géomètre et astronome, aurait donné les
premiers théorèmes et les premières démonstrations. Pythagoras de Samos (585-500),
thaumaturge, moraliste et législateur grec, fonde la philosophie et les mathématiques : « Tout est
nombre ». Contemporain de Zarathoustra (628-551), du Buddha (563-483) et de Confucius (551-
479), Pythagore fut, comme eux, un fondateur d’ordre religieux. Mais à la différence des trois
autres, la religion pythagoricienne donne une place éminente à la connaissance mathématique.
Dans sa Vie de Pythagore, Porphyre écrit : « En ce qui concerne son enseignement, la plupart
affirment qu'il a appris des Égyptiens et Chaldéens ainsi que des Phéniciens ce qui touche aux
sciences dites mathématiques. En effet, si la géométrie a passionné les Égyptiens depuis des temps
très reculés, les Phéniciens, eux, se sont fait une spécialité des nombres et des calculs
arithmétiques, et les Chaldéens de la spéculation astronomique.», et Aristoxène de Tarente, dira
de Pythagore qu’il « semble avoir attaché une suprême importance à l’étude de l'arithmétique,
qu’il développa et éleva au-dessus des besoins des marchands. »
Ainsi, les anciens étaient conscients de la double coupure pythagoricienne :
• coupure religieuse : le nombre est divin, il enferme la beauté et l’ordre du monde.
• coupure rationnelle : il ne suffit pas d’observer les propriétés des nombres et des figures, il faut
les démontrer.
« Au VIè siècle avant Jésus-Christ, nous trouvons tout à coup, comme créée de rien, une galaxie
de philosophes de la nature à Milet, Élée, Samos, qui disputent des origines et de l’évolution de
l’univers, de sa forme et de sa substance, de sa structure et de ses lois en des termes qui depuis lors
sont à jamais incorporés à notre vocabulaire et à nos matrices de pensée. Ils sont en quête de
principes fondamentaux et de substances primordiales sous-jacents à toute diversité : quatre
éléments, quatre humeurs, atomes tous identiques se mouvant selon des lois absolues. Les pythagoriciens
tentent la première grande synthèse : ils essayent de tisser les fils séparés de la religion,
de la médecine, de l’astronomie et de la musique pour en faire une seule étoffe à dessin
géométrique austère. Cette étoffe n’est pas encore achevée aujourd’hui, mais le canevas en fut
composé au cours des trois siècles de l’âge héroïque de la science grecque entre Thalès et Aristote.
» (A. Koestler, Le cri d'Archimède).
Vème siècle avant notre ère, les pythagoriciens : Philolaos de Crotone (nombres premiers et
composés), Hippase de Métaponte (découverte des irrationnels), Hippocrate de Chios, Démocrite
l’atomiste (formule du volume d’une pyramide), les Éléates (Élée, ville du sud de l’Italie) :
Parménide et Zénon, et leurs fameux paradoxes. Le sophiste Hippias d’Élis, et son frère
Dinostrate, géomètres.
150 ans avant Euclide, Hippocrate de Chios (~460 av. J.C.) écrit les premiers Éléments de
mathématiques, il démontre l’ensemble des propositions mathématiques à l’aide d’un petit nombre
de principes : définitions, postulats et axiomes ; il invente le raisonnement par l’absurde, et établit
la quadrature des lunules.
Avec les pythagoriciens, l’univers des mathématiques s’est agrandi. Ils ont introduit la musique
et la mécanique. Leur vision mystique des nombres ne les a pas empêchés de fonder l’arithmétique
comme la science des nombres ; ils classifient les nombres entiers. C’est à eux que l’on doit les
1 Cette section 2 est largement inspirée du Théorème du perroquet de Denis Guedj. La section 3, elle, est
directement extraite de ce livre.
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premières véritables démonstrations de l’Histoire. Ils démontrent, par exemple, que tous les
triangles ont en commun d’avoir la somme de leurs angles égale à 180 degrés, et découvrent le
tétraèdre, le cube et le dodécaèdre. Trois problèmes fameux vont traverser les siècles : duplication
du cube, trisection de l’angle et quadrature du cercle.
Première crise des fondements : la découverte des irrationnels. On attribue la découverte de
l’irrationnalité de 2 (rapport de la diagonale au côté du carré) à Hippase de Métaponte. La
légende dit qu’elle s’est produite au cours d’un voyage en mer des pythagoriciens, et qu’ils ont jeté
Hippase par-dessus bord, car il contredisait un élément central de la doctrine de Pythagore, qui
énonce que tout phénomène naturel se mesure par des rapports en nombres entiers.
IVème siècle avant notre ère.
École d’Athènes. Théodore de Cyrène, professeur de mathématiques de Platon, démontre
l’irrationnalité de 3 , 5 , 7 , 11 et 17 . Théétète, ami de Platon, généralise ce résultat et
découvre les deux derniers polyèdres réguliers, l’octaèdre et l’icosaèdre.
Platon (428-347 av. J. C.) et son Académie : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ».
« Si la géométrie oblige à contempler l'essence, elle nous convient ; si elle s’arrête au devenir,
elle ne nous convient pas. (…) Elle a pour objet la connaissance de ce qui est toujours et non de ce
qui naît et périt. Par suite, mon noble ami, elle attire l'âme vers la vérité, et développe en elle cet
esprit philosophique qui élève vers les choses d'en haut les regards que nous abaissons à tort vers
les choses d'ici-bas. Il faut donc, autant qu'il se peut, prescrire aux citoyens de ta Callipolis de ne
point négliger la géométrie ; elle a d'ailleurs des avantages secondaires qui ne sont pas à
mépriser. Ceux que tu as mentionnés, et qui concernent la guerre ; en outre, pour ce qui est de
mieux comprendre les autres sciences, nous savons qu'il y a une différence du tout au tout entre
celui qui est versé dans la géométrie et celui qui ne l'est pas. » (La République, Livre VII, 526)
Tout est dit...
Eudoxe de Cnide, créateur avec Antiphon de la méthode d'exhaustion, ancêtre du calcul intégral.
Alexandre le Grand a pour précepteurs le philosophe Aristote, qui écrit la Logique (science du
raisonnement), et le mathématicien Ménechme, qui définit et classifie les coniques. Le
péripapéticien Eudème de Rhodes est historien des mathématiques et de l’astronomie. Aristoxène
de Tarente écrit un grand traité de musique.
IIIème siècle av. J.-C. : L’âge d’or des mathématiques grecques.
Le Grand Trio : Euclide de Mégare (365-300) publie les Éléments, présentation axiomatique des
théorèmes obtenus depuis trois siècles en géométrie et en arithmétique. Nette prédominance de la
géométrie. Les Éléments d’Euclide vont marquer les esprits : Spinoza, Li Shan Lan, Bourbaki.
Archimède de Syracuse (287-212) : géométrie, prémices du calcul intégral et de la physique... et
premières applications militaires des mathématiques.
Apollonios de Perge (262-190) écrit un grand traité sur les Coniques.
À partir du IIIème siècle avant notre ère (presque) tout va se passer à Alexandrie. Période dite
hellénistique. Nées après les voyages de Thalès et Pythagore en Égypte, les maths grecques
retournent au pays de leurs origines.
Aristarque de Samos (310-230), astronome, conçoit le premier système héliocentrique, affirmant
que la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil.
Ératosthène (276-197), mathématicien (le crible), astronome, géographe, directeur de la bibliothèque
d’Alexandrie, a effectué la première mesure rigoureuse de la Terre.
IIème siècle avant notre ère : Hipparque précurseur de la trigonométrie et Théodose, l'astronome.
Ier siècle avant notre ère Héron, le mécanicien.
La réflexion philosophique et scientifique se poursuit dans la moitié grecque de l’Empire romain,
notamment à Alexandrie, avec ses écoles et sa bibiothèque, jusqu’au Vème siècle de notre ère.
IIème siècle ap. J.-C. : Claude Ptolémée, géographe et astronome, et son système géocentrique.
Nicomaque de Gérase, Théon de Smyrne (théorie des nombres), Ménélaos (sections coniques).
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IIIème siècle ap. J.-C. : L’âge d’argent des mathématiques grecques.
Diophante, précurseur de l’algèbre. Dans les mathématiques euclidiennes, «la prépondérance
écrasante de la Géométrie (en vue de laquelle est manifestement conçue la théorie des grandeurs)
paralyse tout développement autonome de la notation algébrique : les éléments entrant dans les
calculs doivent, à chaque moment, être "représentés" géométriquement.» (Bourbaki, loc cit.) Or la
somme de deux longueurs est une longueur, leur produit est une aire, ce qui interdit la notion de
polynôme. Les Arithmétiques de Diophante contiennent 13 livres. Elles renouent avec la tradition
des calculateurs professionnels, égyptiens et babyloniens, et introduient les exposants, la règle des
signes, etc. Mais la découverte de l’algèbre est trop tardive pour relancer la science antique, et ne
sera exploitée que par les Arabes.
IVème siècle. Pappus, synthèse de la géométrie des siècles précédents. Le géomètre Théon
d’Alexandrie, commentateur d’Euclide, et sa fille et collaboratrice Hypatie, mathématicienne et
néoplatonicienne, massacrée en 415 par des chrétiens fanatiques.2
Vème siècle. Les "grands commentateurs" des mathématiques grecques : Proclus commente
Euclide, Eutocius Apollonios et Archimède.
VIème siècle. Le sénateur Boèce, dernier mathématicien de l’Antiquité… et le seul romain !
Fin des mathématiques grecques.
Avant de poursuivre, on peut se demander, avec Ch. Morazé et A. Schiavone, pourquoi la Chine et la Rome
antique ont raté le chemin de la modernité, et qu’il ait fallu attendre mille ans pour qu’éclate, en Occident, la
révolution scientifique et technique. En Grèce, la connaissance n’a pour but que la contemplation de la vérité
et l’amélioration de soi ; entre science et transformation de la nature, le passage est bloqué, faute
d’articulation entre science et pouvoir. A Rome, qui pourtant dispose de grands ingénieurs et architectes, les
élites méprisent le travail et l’entreprise (esclavage). L’invention de la machine à vapeur par Héron
d’Alexandrie reste sans lendemain ! Pour la Chine, voir plus bas.
3. Les mathématiques dans le monde arabe, du IXème au XVème siècle.
Après quelques siècles de somnolence, entre le Vè et le VIIIè de notre ère, le savoir grec fut
repris par les mathématiciens arabes qui, après l’avoir assimilé, le firent fructifier. C’est en passant
par Byzance, la chrétienne, que les mathématiques de l’Alexandrie païenne parvinrent à Bagdad, la
capitale de l’Islam.
Les savants arabes, particulièrement ceux du IXè et Xè siècle, eurent la particularité d’être tout à
la fois de grands mathématiciens et des traducteurs accomplis. Ils se lancèrent dans une immense
entreprise de traduction des textes des mathématiciens grecs, Euclide, Archimède, Apollonios,
Ménélaos, Diophante, Ptolémée. Ce qui leur permit d’assimiler le savoir mathématique de
l’Antiquité, puis de l’élargir considérablement, tout en créant de nouveaux champs mathématiques
absents du savoir grec. Ils s’abreuvèrent également à d’autres sources, principalement à la source
indienne.
Point commun avec leurs prédécesseurs grecs, les savants arabes sont "à spectre large", maths,
médecine, astronomie, philosophie, physique. Les mathématiciens arabes ont créé l’algèbre, la
combinatoire, la trigonométrie.
Début du IXè siècle. Bagdad, al-Khwarizmi (algèbre, équations du 1er et 2è degré à une inconnue).
Égypte, Abu Kamil, élargit le champ de l’algèbre (systèmes de plusieurs équations à plusieurs
inconnues). Al-Karaji, premier à considérer les quantités irrationnelles comme des nombres. Al-
Farisi jette les bases de la théorie élémentaire des nombres. Il établit que : « Tout nombre se
décompose nécessairement en facteurs premiers en nombre fini, dont il est le produit. »
2 Pythagore encourageait les femmes à l'étude. Son élève Theano faisait partie des 28 soeurs de la Fraternité
pythagoricienne, et aurait épousé le maître. Hypatie fut massacrée dans une église d'Alexandrie, à l’instigation
du patriarche chrétien Cyrille, persécuteur des philosophes, des savants et des mathématiciens. « Un jour fatal
de période du Carême, Hypatie fut arrachée à son char, déshabillée, traînée à l'église et exécutée de manière
atroce par Pierre le Lecteur et une bande de fanatiques sauvages et enragés. Sa chair fut arrachée de ses os
avec des tranchants d'huîtres et son cadavre fut jeté aux flammes », raconte Gibbon.
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Deuxième moitié du IXè. Géométrie, toujours à Bagdad, les trois frères Banu Musa. Puis, trois
autres savants, Thabit ibn Qurra, al-Nayziri et Abu al-Wafa (calculs d’aires : paraboles, ellipses,
théorie des fractions, construction d’une table de sinus, fondateur de la trigonométrie comme
domaine mathématique autonome).
Fin du Xè siècle. Deux grands savants, le géographe al-Biruni, astronome et physicien, et Ibn al-
Haytham, le "al-Hazen" des Occidentaux (théorie des nombres, géométrie, méthodes
infinitésimales, optique, astronomie. Mais pas d’algèbre!). Ibn al-Khawwam se pose ce qui plus
tard va devenir la célèbre conjecture de Fermat : un cube ne peut être la somme de deux cubes,
l’équation x3 + y3 = z3 n’a pas de solution en nombres entiers.
Deux autres grands mathématiciens, Al-Karaji, à la fin du Xè siècle, et al-Samaw’al, au XIIè
siècle, qui poursuivit son oeuvre. Al-Samaw’al pose un système de 210 équations à 10 inconnues.
Et le résout ! Arithmétisation de l’algèbre : applications à l’inconnue des opérations +, −, ×, : ,
extraction des racines carrées, que l’arithmétique utilisait exclusivement pour les nombres.
Élargissement du calcul sur les nombres au calcul algébrique.
Al-Karaji étudie les exposants algébriques : xn et 1/xn. Al-Samaw’al utilise les quantités
négatives, démontrant la règle fondamentale du calcul sur les exposants : xm xn = xm+n. Il est l'un
des premiers à user de la démonstration par récurrence pour établir des résultats mathématiques,
principalement en théorie des nombres. Calcul de la somme des n premiers nombres entiers, de la
somme de leurs carrés, de celle de leurs cubes.
Fin du XIè siècle. Omar Khayyam, grand algébriste persan, astronome et poète : c’est l’auteur des
fameux quatrains.
Mon coeur n’a jamais été privé de la science :
Peu de secrets me restent inaccessibles.
Après avoir réfléchi, jour et nuit, pendant soixante-douze ans,
J’ai fini par comprendre que rien ne m’est évident !
Fin XIIè. Sharaf al-Din al-Tusi, grand algébriste aussi. Il utilise des procédés qui préfigurent la
notion de dérivée, cinq cents ans avant les mathématiciens occidentaux.
XIIIè. Nasir al-Din al-Tusi (astronome, réformateur du système de Ptolémée).
Début XVè. Aboutissement des mathématiques arabes ; al-Kashi, directeur de l’observatoire de
Samarcande, fait la synthèse des mathématiques arabes depuis sept siècles : liens entre l’algèbre et
la géométrie, liens entre l’algèbre et la théorie des nombres ; trigonométrie et analyse
combinatoire (étude des différentes façons de combiner les éléments d’un ensemble) ; résolution
d’équations par radicaux (calcul des solutions des équations en n’utilisant que les quatre
opérations et les racines carrées, cubiques, etc., et rien d’autre).
4. Le lent redémarrage de l’Occident : de 1200 à 1600.
« On observe au XIIème siècle de notre ère les premiers signes du dégel et au cours des cent ans
qui suivent, quelques bouillonnements prometteurs : c’est le siècle de Roger Bacon et de Pierre de
Maricourt, des jeunes universités d’Oxford, de Salerne, de Bologne, de Paris. Mais c’est aussi le
siècle de la fatale mésalliance de la physique d’Aristote et de la théologie de saint Thomas
d’Aquin. En quelques générations, cette mauvaise synthèse allait créer une nouvelle orthodoxie,
qui nous valut encore trois siècles de stérilité et de stagnation » (A. Koestler, loc. cit.). De fait,
alors que la pensée antique avait évolué vers une autonomisation progressive de la philosophie par
rapport à la religion, et des mathématiques par rapport à la philosophie, le christianisme médiéval
subordonnait ces dernières à la théologie. La Renaissance va secouer, non sans heurts, cette lourde
tutelle : Giordano Bruno, Galilée, Francis Bacon. « Le savoir dérivé d’Aristote, s’il est soustrait au
libre examen, ne montera pas plus haut que le savoir qu’Aristote avait. » écrit ce dernier.
Aire géographique. D’abord l’Italie, puis la France, l'Angleterre et l’Allemagne, puis les Pays-
Bas, la Suisse, la Russie, la Hongrie, la Pologne.
XIIIème siècle : première renaissance italienne, sous Frédéric II de Hohenstaufen.
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Leonardo de Pise, dit Fibonacci, étudie les mathématiques indiennes et arabes.
XVIème siècle. La Renaissance est le siècle des savants-artistes : Léonard de Vinci, élève de Luca
Pacioli, Peletier du Mans, médecin et ami de Montaigne, etc. Emigration venue de Byzance
(Maurolyco). Clavius traduit et imprime les Eléments d’Euclide. École algébrique de Bologne :
Tartaglia, Cardan, Ferrari, Bombelli résolvent par radicaux les équations des 3ème et 4ème degrés,
et découvrent les nombres complexes, d’abord appelés «impossibles», puis «imaginaires».
Grands progrès des notations symboliques : Viète, conseiller de Henri IV, et Stevin.
Sur l’insistance de son disciple Rheticus, le chanoine polonais Nicolas Copernic (1473-1543)
consent à publier ses théories astronomiques héliocentriques ; il remet en cause le système de
Ptolémée, et renoue avec l’héliocentrisme d’Aristarque. Son livre, De revolutionibus orbium
coelestium (1543) passe inaperçu, mais le résumé qu’en fait le flamboyant Rheticus marque les
esprits.
5. Le second âge héroïque de la science : de 1600 à 1730.
1er janvier 1600 : rencontre de Tycho Brahé, astronome du roi de Danemark, et de Johann Kepler,
professeur de mathématiques nommé à Graz par l’empereur Rodolphe II. Le premier a observé les
astres pendant des années, le second déborde d’idées : des données de Tycho, Kepler va tirer les
trois lois que plus tard Newton interprétera.
Les mathématiques baroques. Les mathématiciens ne sont plus artistes, mais leur spécialisation est
très lente : ils sont encore souvent philosophes, théologiens, physiciens, alchimistes, et de
profession magistrats, prêtres, etc.
– Fractions continues de Cataldi. Invention des logarithmes : Napier et Brüggi, Briggs.
– Algèbre : Albert Girard, Harriot, Oughtred.
– Géométrie analytique (qui établit un lien entre nombres et espace par l’entremise de l’algèbre) :
Fermat, Descartes.
– Géométrie des indivisibles : Cavalieri, Roberval, Fermat, Grégoire de Saint-Vincent.
– Calcul infinitésimal (calcul différentiel et intégral) : Wallis, Gregory, Newton (1642-1727),
Leibniz (1646-1716), la dynastie des Bernoulli, Taylor, Mac Laurin, Stirling.
– Théorie des nombres : Mersenne, Fermat.
– Musique théorique : Mersenne.
– Probabilités et combinatoire : Fermat, Pascal, Leibniz, Jacques Bernoulli.
– Géométrie : Desargues, Pascal, La Hire...
− Optique : Kepler, Fermat, Descartes
– Mécanique et astronomie : la révolution copernicienne est poursuivie par Kepler (1571-1630) et
Galilée (1564-1642), puis parachevée par Newton : «Il fallait être Newton pour apercevoir que la
lune tombe, quand tout le monde voit bien qu'elle ne tombe pas » (Paul Valéry).
Les sociétés savantes privées et publiques donnent naissance aux Académies : Accademia dei
Lincei (Rome 1603), Royal Society (Londres, 1662), Académie des sciences (Paris, 1666),
Académies de Berlin (1697) et Saint-Pétersbourg (1726).
En France, la Révocation de l’Édit de Nantes chasse A. de Moivre.
6. L’âge d’or de l’analyse : de 1730 à 1830.
Le XVIIIème siècle est une « période d’assimilation, de consolidation, de bilan, c’est l’âge
des vulgarisateurs, des hommes du classement et des systèmes, (...) des "philosophes" et des Encyclopédistes
» (Koestler). Triangulation de la France par la dynastie des Cassini, expéditions
scientifiques en Laponie et au Pérou sous Louis XV, mise au point d’une méthode précise de
détermination de la longitude en mer par John Harrison.
Époque classique. C’est l’âge d’or de l’analyse. Après les nombres et les figures, les fonctions
deviennent les objets privilégiés des mathématiques. Équations différentielles, étude des courbes,
nombres complexes, théorie des équations, calcul des variations, trigonométrie sphérique, calcul
7
des probabilités, mécanique. La résolution des problèmes posés au début du siècle par Leibniz et
Newton, quadratures, intégration des équations différentielles, a fait de grands pas.
Revues scientifiques : Comptes rendus de l’Académie des sciences de Paris, Annales de Gergonne,
Bulletin de Férussac, Journal de Liouville en France, Journal de Crelle en Allemagne, etc.
♣ Déclin des mathématiques britanniques ; les élites sont draînées vers des utopies pratiques :
navigation, colonisation, industrialisation, etc..
♦ Paris, capitale mondiale des mathématiques.
Après avoir rejeté les théories anglaises de Newton, au nom des tourbillons de Descartes, les
Français en deviennent les champions : Fontenelle, Voltaire, Clairaut, d’Alembert, Laplace.
Vis à vis de la science, la Révolution française hésite entre deux lignes politiques : "spartiates"
(Robespierre) partisans d’un enseignement élémentaire pour tous, contre "athéniens" (Carnot)
partisans d’institutions de pointe. La synthèse de l’abbé Grégoire fédère les énergies, mais le 9
Thermidor assure la victoire de l’élitisme bourgeois. C’est l’épopée polytechnicienne : Lagrange,
Vander-monde, Monge, Laplace, Legendre, Fourier, Poisson, Poncelet, Cauchy, Chasles, Sturm,
Liouville...
Rayonnement des mathématiques françaises : les traités de Legendre, Francoeur, Lacroix, sont
lus par le grec Carandinos, le norvégien Abel, le russe Tolstoï... Les jeunes mathématiciens
étrangers (Ostrogradski, Carandinos, Abel, Lejeune-Dirichlet) viennent étudier à Paris.
Un génie précoce au destin tragique, Évariste Galois (1811-1832), parachève la résolution des
équations algébriques, et annonce les théories modernes des groupes et des corps. Le génie de
Galois sera reconnu en 1844 par Liouville, mais son oeuvre ne sera comprise qu’après 1870, avec
les travaux de Jordan, Kronecker, Dedekind et Hilbert.
♥ Lente montée en puissance des mathématiques allemandes et est-européennes, stimulée par les
despotes éclairés (Pierre le Grand, Catherine II, Frédéric II…). Aux savants éclectiques (Leibniz,
Tschirnhaus, von Segner, Lichtenberg, Kaestner) succèdent des scientifiques purs : Lambert, Pfaff,
et surtout deux esprits universels, le suisse Léonard Euler (1707-1783) à Saint-Pétersbourg et Carl
Friedrich Gauss (1777-1855) à Göttingen. Un génie précoce, le norvégien Niels Abel (1802-1829)
(séries entières, fonctions elliptiques et intégrales abéliennes).
♠ Pas de mathématiques en Espagne et au Portugal, en raison du départ des Arabes et de l’exode
des Juifs (1492), de la toute puissance de l’Église et de l’Inquisition, et de l’absence de despotes
éclairés.
7. La grande transition : de 1830 à 1933.
Cette période de transition entre l’âge classique et les mathématiques actuelles est marquée par
un grand effort de réorganisation et d’abstraction, qui bouleverse l’architecture des mathématiques
mais sauvegarde leur unité.
• Arithmétisation de l’analyse. Au début du XIXème, la géométrie reste la partie la plus achevée
des mathématiques, elle est toujours active, mais talonnée par l’analyse. Celle-ci a accumulé les
résultats, mais en se basant sur une conception intuitive de la notion de limite. Gauss, Bolzano et
Cauchy souhaitent lui donner la même rigueur que la géométrie. Cette entreprise aboutit après
1850 à une définition claire de la notion de limite (les ε de Weierstrass), fondée sur une
construction claire des nombres réels à partir des rationnels. Les fonctions de variable complexe et
les équations différentielles peuvent alors être étudiées rigoureusement. Les structures
fondamentales de l’analyse (espaces métriques, topologiques) sont dégagées au tournant du siècle
(Cantor, Fréchet, Hausdorff).
• Les problèmes algébriques (équations algébriques, systèmes linéaires, groupes de transformations,
théorie des nombres) sont classés par familles, effort qui conduit à l’émergence
progressive des structures algébriques : groupes, anneaux, corps, espaces vectoriels et algèbres.
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• La découverte des géométries non-euclidiennes (Lobatchevski, Gauss, Bolyai, Riemann), et la
rigueur nouvelle acquise par l’analyse, conduisent Hilbert à réviser l’axiomatique d’Euclide à la
fin du siècle. Mais l’habitude est prise de fonder la géométrie sur le socle formé par l’algèbre et
l’ana-lyse ; la géométrie se scinde en deux branches principales : géométries algébrique et
différentielle.
• Pendant ce temps, la logique d’Aristote est revisitée, puis ébranlée par les paradoxes nés de la
théorie des ensembles fondée par Cantor ; une synthèse nouvelle est entreprise à la fin du siècle.
♣ En Angleterre, une réforme de l’enseignement et la traduction anglaise de la Mécanique céleste
de Laplace relancent la science britannique.
– Logique : Boole, de Morgan, Lewis Carroll, puis les Principia de Whitehead et Russell.
– Algèbre : Hamilton (quaternions), Sylvester, Cayley (calcul matriciel), Smith, Clifford, Burnside.
– Théorie des nombres et analyse : Whittaker, Hardy, Littlewood, Ramanujan, Mordell.
– Physique mathématique : Stokes, Rayleigh, Maxwell.
– Géométrie : Salmon, Macaulay, Baker... et l’inclassable érudit d’Arcy Thompson, à mi-chemin
d’Aristote et René Thom...
♦ En France, déclin des mathématiques au milieu du XIXème siècle. Les élites sont draînées vers
des utopies pratiques : colonisation, industrialisation, armée, etc. Liouville, Catalan, Hermite.
Renouveau des mathématiques à la fin du siècle : Jordan (algèbre), Henri Poincaré (1854-1912),
Baire, Borel, Hadamard, Lebesgue, Élie Cartan (fonctions de variables réelle et complexe,
intégration, systèmes dynamiques différentiels, géométrie différentielle) avant l’hécatombe de 14-
18.
♥ Göttingen, capitale mondiale des mathématiques.
Après la défaite d’Iéna (1806), la Prusse entreprend une réforme universitaire libérale (1810-18),
qui donne une grande liberté aux professeurs et aux étudiants. L’absence d’utopie pratique
(politique, économique, coloniale) tournent les plus brillants étudiants vers la pensée abstraite :
philosophie (Hegel, Feuerbach, Marx, Nietzsche) et mathématiques. C’est l’invention des
mathématiques pures : « Le but unique de la science, c'est l'honneur de l'esprit humain », écrit
Jacobi en 1830. Berlin et surtout Göttingen deviennent des centres actifs.
Pléïade de mathématiciens d’envergure exceptionnelle :
− Logique et théorie des ensembles : Dedekind, Cantor (1845-1918) (cardinaux et ordinaux),
Frege, Hilbert, Zermelo, Gentzen.
− Théories algébrique et analytique des nombres : Gauss (1777-1855), Dirichlet, Kummer,
Kronecker, Riemann (1826-1866), Hurwitz, Hilbert (1862-1943), Landau, Siegel, Hasse.
− Théorie des groupes : Gauss, Klein, Von Dyck, Dehn, Reidemeister, Artin, Schreier.
– Fonctions elliptiques : Gauss, Jacobi, Weierstrass, Klein, Hecke.
– Analyse réelle et complexe : Gauss, Dirichlet, Weierstrass, Riemann, Hilbert.
– De la géométrie pure à la géométrie moderne : Steiner, Klein.
– Géométries non-euclidiennes : Gauss, Riemann, Hilbert, Minkowski.
– Géométries algébrique et différentielle : Gauss, Riemann, Clebsch, Gordan, Hilbert, les Noether.
– Équations intégrales, différentielles et aux dérivées partielles : Runge, Hilbert, Courant.
– Astronomie : Gauss, Moebius, Bessel.
Les jeunes matheux étrangers viennent achever en Allemagne leurs études post-doctorales.
L’Allemagne se met aux maths appliquées à la fin du siècle (Runge), une fois réalisée son unité
politique, et en liaison avec son industrialisation.
Lors du 2ème Congrès international des mathématiciens (Paris, 1900) Hilbert énonce 23
problèmes dont la résolution va marquer le siècle qui commence (8 sont encore non résolus).
♠ En Italie, les mathématiciens participent aux combats pour l’unité italienne (Betti, Faà di Bruno,
Cremona, etc.) avant de revenir à leurs études. En 1858, Betti, Brisochi et Casorati voyagent à
Paris, Berlin et Göttingen, et sortent les mathématiques italiennes de leur isolement. Logique
(Peano, Burali-Forti), géométries différentielle (Bianchi, Ricci-Curbastro) et algébrique
9
(Castelnuovo, Enriques, Severi, etc.), analyse (Ascoli, Dini, Cesàro, Volterra, Vitali), calcul
tensoriel (Levi-Civita). Les principaux centres italiens sont l’École normale supérieure de Pise, les
universités de Bologne, Padoue, Milan, Turin, Rome et Naples.
♣ En Russie, une école mathématique active apparaît sous les tsars : Lobatchevski (géométrie non
euclidienne), Ostrogradski, Tchebychev, Sonia Kovalesvskaïa, Liapounov, Markov, Steklov,
Egorov, Lusin (théorie des nombres, analyse fonctionnelle, maths. appliquées). Ils réalisent une
synthèse originale entre théorie et applications : « Isoler les mathématiques des demandes
pratiques des autres sciences revient à provoquer la stérilité d'une vache en l'éloignant des
taureaux », déclare Tchebychev.
♦ En Scandinavie, le norvégien Sylow étudie les groupes finis ; son élève Sophus Lie (1842-
1899) généralise les transformations de contact et étudie les groupes continus. En Suède, Mittag-
Leffler fait des travaux d’analyse complexe, et Fredholm étudie les équations intégrales. Le danois
Harald Bohr, frère de Niels, étudie les fonctions presque-périodiques après avoir été international
de football !
8. Mathématiques d’aujourd’hui : de 1918 à nos jours.
« Nous devons savoir, nous saurons », telle fut la devise de Hilbert. Certes, le théorème
d’incomplétude de Gödel (1931) a marqué les limites internes de l’optimisme hilbertien, en
montrant, d’une part, l’impossiblité de démontrer la consistance d’un système axiomatique
englobant la théorie des nombres à l’intérieur de ce système, et d’autre part, l’existence de
propositions indécidables. Mais l’extraordinaire essor des mathématiques depuis 1918 semble au
contraire conforter cet optimisme. Les années 30 voient la publication des premiers exposés
synthétiques des différentes théories. Ils mettent l’accent sur les structures fondamentales, plus que
sur les problèmes qui leur ont donné naissance.
♣ En Italie, les mathématiques se développent sans à-coups depuis le XVIème siècle.
− Analyse fonctionnelle : Volterra, Caccioppoli (ami d’André Gide), de Giorgi.
− Théorie des nombres : Bombieri.
− Géométrie algébrique : Severi, Albanese.
♦ Le renouveau bourbakiste.
Dans les années 20, la France, saignée par la guerre de 14, a peu de mathématiciens d’envergure
: Hadamard, E. Cartan, Borel, Julia... Aussi, à la fin des années 20, les jeunes normaliens (Weil,
Dieudonné, Ehresmann, Chevalley, Leray, de Possel, Dubreil, Cavaillès) prennent le chemin de
l’Allemagne ; à leur retour, plusieurs fondent en 1935 le groupe Bourbaki : cet Euclide collectif
publie des Éléments de mathématiques, et organise un Séminaire. Il remet en selle les
mathématiques françaises, et les propulse au troisième rang mondial : H. Cartan, A. Weil, J.
Dieudonné, L. Schwartz, G. Choquet, R. Thom, J.-P. Serre, A. Grothendieck, J. Tits, P. Cartier, A.
Connes, J.-C. Yoccoz, P.-L. Lions, L. Lafforgue, R. Cerf, etc…
♥ Après les brillantes années de la République de Weimar (Hausdorff, Dehn, Hecke, Hasse, Artin,
Schreier, Siegel), les mathématiques allemandes sont détruites en deux ans par les nazis.
Exode des juifs, des démocrates, mise à l’écart des femmes : Hausdorff, Landau, Schur, E.
Noether, R. Moufang... Les départs des mathématiciens allemands, puis autrichiens, vers la France,
l’Angleterre, les États-Unis ou la Palestine, s’échelonnent de 1933 à 1940 : Einstein, Courant, E.
Noether, Weyl, Brauer, Hellinger, Toeplitz, Gödel, Schur, Artin, Siegel, Dehn, etc. Suicides
d’Epstein et Hausdorff ; Tauber meurt en camp. Wolfgang Doeblin (1915-1940), fils de l’écrivain
expressionniste Alfred Doeblin, suit son père en exil en France ; il fait une thèse de probabilités en
Sorbonne en 1936 et s’engage dans l’armée française ; il se donne la mort en juin 40. Deux
mathématiciens nazis : le vieux Bieberbach et le jeune Teichmüller (l’Évariste Galois nazi).
Göttingen est reconvertie en centre d’hydrodynamique et d’aéronautique. Les mathématiciens
participent à la Blietzkrieg, et ne sont rapatriés dans des centres de recherche qu’en 1942 (K.
10
Zuse), mais il est trop tard. Les mathématiques allemandes ne se remettent du nazisme et de la
reconstruction d’après-guerre que dans les années 1970-80 (Faltings).
♠ En Angleterre, les mathématiques retrouvent progressivement leur universalité. Elles se
convertissent avec retard au structuralisme : logique et calculabilité (Ramsey, Turing), géométrie
(Coxeter), analyse (Littlewood, Titchmarsh), géométrie algébrique (Atiyah), approximations diophantiennes
(Roth, Baker), théorie des nombres (Mordell, Coates, Wiles), analyse harmonique
(Paley). Immigration venue de Russie (Besicovitch) et d’Allemagne (Mahler).
♣ Aux États-Unis, les mathématiques ne prennent leur essor qu’à la fin du XIXème siècle (Yale,
Chicago, Harvard) ; elles comptent alors plusieurs mathématiciens de talent : Peirce, Gibbs,
Osgood, Veblen, Moore. Les vagues d’immigration, surtout celle de 1933-38, propulsent la science
américaine au premier rang. Courant fonde un Institut de maths appliquées sur le modèle de celui
qu’il avait créé à Göttingen en 1925. La seconde guerre mondiale et la guerre froide entraînent la
formation d’un complexe militaro-industriel grand consommateur de mathématiques «utiles». La
compétition économique prend la relève...
– Logique et théorie des ensembles : Post, Church, Kleene, Julia Robinson, Cohen.
– Géométrie algébrique : Zariski (qui émigre de Russie via l'Italie), Jacobson, Hironaka, Mumford.
– Géométrie différentielle : Milnor, Thurston, Witten, Freedman, Donaldson.
– Théorie des groupes : Brauer, Gorenstein, Griess.
– Systèmes dynamiques : Birkhoff, Smale.
– Probabilités et statistiques : Fisher, J. Neyman, W. Feller.
– Cybernétique : Wiener, Shannon.
♦ Après la révolution de 1917, éclosion d’une brillante école soviétique.
– Topologies générale et algébrique : Lusin, Souslin, Urysohn, Alexandrov, Tichonov.
– Mesure, analyse fonctionnelle et probabilités : Lusin, Kolmogorov, Gelfand.
– Théorie des nombres : Schnirelmann, Vinogradov, Linnik, Chafarevitch, Margoulis.
– Logique et algèbre : O. Schmidt, Malcev, Matiassevitch.
– Systèmes dynamiques : Pontriaguine, Arnold, Anosov.
– Physique mathématique : Pontriaguine, Petrowski, Sobolev.
– Économie mathématique : Leontieff, Kantorovitch.
Peu de répression parmi les mathématiciens (Egorov, Lusin, Krawtchouk), les mathématiques étant
moins perméables que des sciences plus récentes (biologie) aux intrusions idéologiques, et de plus
nécessaires au complexe militaro-industriel. Avant et après la fin de l’URSS, émigration vers
l’occident.
♥ Le bref et tragique printemps polonais.
Entre les deux guerres, les mathématiques polonaises connaissent un extraordinaire essor,
tragiquement interrompu par la Seconde guerre mondiale.
L’École de Varsovie regroupait des mathématiciens travaillant en logique, théorie des
ensembles, théorie des nombres, topologie générale et fonctions réelles. Leur journal, Fundamenta
Mathematicae, est fondé en 1920. Cette école contenait Sierpinski (1881-1969), Kuratowski,
Marczewski, Knaster, Janiszewski, Mazurkiewicz, Saks, Borsuk, Sikorski. Les topologues
Aronszajn et Eilenberg émigrent aux USA dans les années 30, le logicien Alfred Tarski publie en
1933 son célèbre théorème d’indécidabilité, et émigre aux USA en 1942. L’analyse de Fourier est
développée par Rajchman et Zygmund, qui partent aux USA durant la guerre.
L’École de Lvov comportait une douzaine de mathématiciens travaillant en analyse
fonctionnelle, fonctions réelles et probabilités. Son journal était Studia Mathematica, fondé en
1929. À sa tête se trouvait Stefan Banach (1892-1945), mais elle comportait aussi Schauder,
Mazur, Steinhaus et Orlicz, Auerbach, Kaczmarc, Lomnicki, Kac et Ulam (ces deux derniers
partent aux USA, Ulam participe au projet Los Alamos de bombe atomique).
11
L’École de Cracovie, sise à l’université Jagellon fondée en 1364, était un centre d’analyse
classique spécialisé dans les équations différentielles et les fonctions analytiques : S. Zaremba, T.
Wazewski, K. Zorawski, W. Slebodzinski, K. Leja.
La Seconde guerre mondiale fut une catastrophe pour la Pologne, et en particulier pour ses
mathématiques. Plus de 25 mathématiciens furent tués ou moururent dans les camps. Beaucoup
d’autres, partis avant guerre ou dispersés par la guerre, ne revinrent pas.
♠ Hongrie : outre de grands théoriciens, tels L. Fejér (séries de Fourier) et F. Riesz (analyse
fonctionnelle), ce petit pays a toujours produit des esprits originaux et inclassables : J. Bolyai
(géométrie non euclidienne), J. von Neumann (logique, formalisme mathématique de la
mécanique quantique, projet de Los Alamos, théorie des jeux), et P. Erdös (théorie des nombres),
le juif errant des mathématiques.
En Extrême-Orient...
♣ Les mathématiques chinoises sont très en avance sur les mathématiques occidentales (arithmétique,
algèbre) des origines jusqu’au XVème siècle3. La méthode de résolution de systèmes
linéaires dite « du pivot de Gauss » figure sous le nom de fang-cheng dans le traité de Chang
Ts’ang, chancelier de l’Empereur (160 av. J. C.), imprimé en 1084. Cependant les mathématiques
chinoises n’accèdent pas à la notion de démonstration, restent à un stade pré-pythagoricien et
déclinent à partir du XVIIème siècle.
Le mathématicien autodidacte Li Shan Lan (1810-1882) déniche une traduction incomplète des
Éléments d’Euclide remontant à 1607, sans doute apportée par le jésuite italien Matteo Ricci, et
entreprend une synthèse des mathématiques chinoises et occidentales. Mais la synthèse tourne
court: au XXème siècle, les mathématiciens chinois sont formés aux États-Unis (S. Chern).
♦ Le Japon ferme ses frontières de 1639 à 1854, et vit en autarcie sur l’acquis des mathématiques
introduites par les jésuites. Un seul mathématicien d’envergure, Takakazu Seki (1642-1708), le
Leibniz japonais, qui fonde une école. C’est la période des sangaku : les théorèmes de mathématiques
sont affichés dans les temples, en offrande aux dieux. Après 1854, le Japon
s’occidentalise, et se dote d’une excellente école mathématique : Kikuchi, Takagi, Oka, Kodaira,
Taniyama, Shimura, Hironaka, Mori... (analyse complexe, analyse fonctionnelle, formes
modulaires, géométrie algébrique, etc.)
♥ L’Inde a donné au monde un mathématicien génial : S. Ramanujan (1887-1920), reconnu par
Hardy, qui le fait venir à Cambridge en 1914.
9. Et maintenant ?
Dans son Panorama des mathématiques pures (1977), Jean Dieudonné affirmait que la
plupart des théories mathématiques modernes s’étaient progressivement détachées des sciences de
la nature depuis 1850. C’était vrai à l’époque, quoique moins qu’il ne l’affirmait : marquée par
Bourbaki, l’école mathématique française a toujours surestimé l’autonomie des mathématiques par
rapport aux sciences de la nature. Cette autonomie a disparu depuis les années 70 : les théories
mathématiques les plus abstraites (algèbre, géométries et topologies algébrique et différentielle)
ont récemment trouvé des applications en physique, biologie, économie : fractals, chaos, groupes
quantiques, noeuds et tresses, ondelettes, etc. Plus que jamais, l’univers est écrit dans la langue
mathématique. Comme le note Jean-Pierre Kahane : « L'unité des mathématiques n'est pas fondée
sur une racine, la théorie des ensembles, mais sur le fait que les rameaux communiquent entre eux
».
Selon un Congrès réuni à Paris en mai 2000, sept problèmes encore ouverts vont dominer la
recherche dans les prochaines décennies. Le Clay Mathematics Institute a promis 1 million de
dollars pour la résolution de chacun d’eux. La description officielle ci-dessous reproduite en
3 Lire les ouvrages de Needham et Martzloff.
12
anglais de ces 7 problèmes est due à de très grands mathématiciens, pour la plupart médaillés
Fields.
⎯ La conjecture de Riemann sur la distribution des nombres premiers et les zéros de la fonction
ζ.
“ Some numbers have the special property that they cannot be expressed as the product of two
smaller numbers, e. g., 2, 3, 5, 7, etc. Such numbers are called prime numbers, and they play an
important role, both in pure mathematics and its applications. The distribution of such prime
numbers among all naturel numbers does not follow any regular pattern, however the German
mathematician G. F. B. Riemann (1826-1866) observed that the frequency of prime numbers is
very closely related to the behavior of an elaborate function “ζ(s)” called the Riemann Zeta
function. The Riemann hypothesis asserts that all interesting solutions of the equation ζ(s) = 0 lie
on a straight line. This has been checked for the first 1,500,000,000 solutions. A proof that it is
true for every interesting solution would shed light on many of the mysteries surrounding the
distribution of prime numbers.” (Enrico Bombieri)
⎯ La conjecture de Poincaré sur le nombre de morceaux d’un seul tenant obtenus en découpant
une sphère le long d’une courbe fermée.
“ If we stretch a rubber band around the surface of an apple, then we can shrink it down to a
point by moving it slowly, without tearing it and without allowing it to leave the surface. On the
other hand, if we imagine that the same rubber band has somehow been stretched in the
appropriate direction around a doughnut, then there is no way of shrinking it to a point without
breaking either the rubber band or the doughnut. We say the surface of the apple is “simply
connected”, but that the surface of the doughnut is not. Poincaré, almost a hundred years ago,
knew that a two dimensional sphere is essentially characterized by this property of simple
connectivity, and asked the corresponding question for the three dimensional sphere (the set of
points in four dimensional space at unit distance from the origin). This question turned out to be
extraordinarily difficult, and the mathematicians have been struggling with it ever since. “ (John
Milnor)
⎯ La conjecture de Hodge, qui permet d’interpréter certains objets mathématiques comme
combinaisons de formes géométriques d’origine algébrique.
“ In the twentieth century mathematicians discovered powerful ways to investigate the shapes of
complicated objects. The basic idea is to ask to what extent we can approximate the shape of a
given object by gluing together simple geometric building blocks of increasing dimension. This
technique turned out to be so useful that it got generalized in many different ways, eventually
leading to powerful tools that enabled mathematicians to make great progress in cataloging the
variety of objects they encountered in their investigations. Unfortunately, the geometric origins of
the procedure became obscured in this generalization. In some sense it was necessary to add pieces
that did not have any geometric interpretation. The Hodge conjecture asserts that for particularly
nice types of spaces called projective algebraic varieties, the pieces called Hodge cycles are
actually (rational linear) combinations of geometrics pieces called algebraic cycles. “ (Pierre
Deligne)
⎯ La conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer sur la description des points à coordonnées
entières des courbes elliptiques de genre 1.
“ Mathematicians have always been fascinated by the problem of describing all solutions in
whole numbers x, y, z to the algebraic equations like x² + y² = z². Euclid gave the complete
solution for that equation, but for more complicated equations this becomes extremely difficult.
Indeed, in 1970, Yu. V. Matiyasevich showed that Hilbert’s tenth problem is unsolvable, i. e. there
is no general method for determining when such equations have a solution in whole numbers. But
in special cases one can hope to say something. When the solutions are the points of an abelian
variety, the Birch and Swinnerton-Dyer conjecture asserts that the size of the group of rational
points is related to the behavior of an associated zeta function ζ(s) near the point s = 1. In
13
particular this amazing conjecture asserts that if ζ(1) is equal to 0, then there are an infinite
number of rational points (solutions), and conversely, if ζ(1) is not equal to 0, then there is only a
finite number of such points.”(Andrew Wiles)
⎯ Le problème P versus NP, en théorie des graphes et algorithmique.
“ Suppose that you are organizing housing accommodations for a group of four hundred
university students. Space is limited and only one hundred of the students will receive places in the
dormitory. To complicate matters, the Dean has provided you a list of incompatible students, and
requested that no pair from this list appear in your final choice. This is an exemple of what
computer scientists call an NP-problem, since it is easy to check if a given choice of one hundred
students proposed by a coworker is satisfactory (i. e., no pair from taken from your coworker’s list
also appears on the list from the Dean’s office), however the task of generating such a list from
scratch seems to be so hard as to be completely impratical. Indeed, the total number of ways of
choosing one hundred students from the four hundred applicants is greater than the number of
atoms in the known universe! Thus no future civilization could ever hope to build a supercomputer
capable of solving the problem by brute force; that is, by checking every possible combination of
100 students. However, this apparent difficulty may only reflect the lack of ingenuity of your
programmer. In fact, one of the outstanding problems in computer science is determining whether
questions exist whose answer can be quickly checked, but which require an impossibly long time
to solve by any direct procedure. Problems like the one listed above certainly seem to be of this
kind, but so far no one has managed to prove that any of them really are so hard as they appear, i.
e., that there really is no feasible way to generate an answer with the help of a computer. Stephen
Cook and Leonid Levin formulated the P (i. e. easy to find) versus NP (i. e., easy to check)
problem independently en 1971.” (Ian Stewart, Stephen Cook)
⎯ Les équations de Navier-Stokes, qui gouvernent la mécanique des fluides, laissant apparaître
des phénomènes de turbulence encore mal connus.
“ Waves follow our boat as we meander across the lake, and turbulent air currents follow our
flight in a moderne jet. Mathematicians and physicists believe that an explanation for and the
prediction of both the breeze and the turbulence can be found through an understanding of
solutions to the Navier-Stokes equations. Although these equations were written down in the 19th
Century, our understanding of them remains minimal. The challenge is to make substantial
progress toward a mathematical theory which will unlock the secrets hidden in the Navier-Stokes
equations.” (Charles Fefferman)
⎯ Les équations de Yang-Mills, qui jouent à l’échelle microscopique un rôle analogue aux lois
de Newton régissant la mécanique classique, établissent un lien entre les particules élémentaires et
la géométrie des espaces fibrés, mais ce lien reste à approfondir.
“ The laws of quantum physics stand to the world of elementary particles in the way that
Newton’s laws of classical mechanics stand to the macroscopic world. Almost half a century ago,
Yang and Mills introduced a remarkable new framework to describe elementary particles using
structures that also occur in geometry. Quantum Yang-Mills theory is now the foundation of most
of elementary particle theory, and its predictions have been tested at many experimental
laboratories, but its mathematical foundation is still unclear. The successful use of Yang-Mills
theory to describe the strong interactions of elementary particles depends on a subtle quantum
mechanical property called the “mass gap” : the quantum particles have positive masses, even
though the classical waves travel at the speed of light. This property has been discovered by
physicists from experiment and confirmed by computer simulations, but it still has not been
understood from a theoretical point of view. Progress in establishing the existence of the Yang-
Mills theory and a mass gap and will require the introduction of fundamental new ideas both in
physics and in mathematics.” (Arthur Jaffe, Edward Witten)
Pierre-Jean Hormière
14
Bibliographie
J.-F. Mattei : Pythagore et les pythagoriciens (Que sais-je n° 2732).
A. Pichot : La naissance de la science (Folio essais n° 154 et 155).
Les présocratiques (Pléïade).
A. Schiavone : L’histoire brisée, la Rome antique et l’Occident moderne (Belin, 2003)
D. Guedj : Le théorème du perroquet
A. Koestler : Le cri d’Archimède (Calmann-Lévy)
A. Koestler : Les somnambules (Calmann-Lévy)
N. Bourbaki : Éléments d’histoire des mathématiques (Hermann)
J. Dieudonné et alii : Abrégé d’histoire des mathématiques (Hermann)
La Recherche : Grandes et petites énigmes mathématiques, octobre 2001
La Recherche : La science et la guerre, avril-juin 2002
Site Internet du Clay Mathematics Institute : www.claymath.org
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