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Hommage à François Parreau (1948-2025)

Nous sommes très tristes, au LAGA, d’apprendre le décès de notre cher collègue François Parreau, lundi 2 juin 2025 au matin. Nous pensons bien fort à Claude, sa femme, Anne, Cécile et Aline, ses filles.
Tout comme Bernard Host, François arrive à Paris 13 en 1971, comme assistant-agrégé et rejoint un petit groupe d’analystes organisés autour de Jean-François Méla et composé de Myriam Déchamps d’Orsay et de Martine Queffélec recrutée un an plus tôt. Jean-François, élève de Jean-Pierre Kahane, avait choisi d’orienter le groupe de travail vers l’Analyse harmonique des mesures. Très vite, Bernard et François instillent une dynamique extraordinaire à l’équipe. Les deux jeunes mathématiciens, qui s’étaient rencontrés à l’Ecole normale de la rue d’Ulm, collaboreront de manière intense pendant une vingtaine d’années. Il faudra même, pour satisfaire l’administration, que chacun improvise un chapitre supplémentaire pour distinguer leur thèse d’Etat élaborée à quatre mains et soutenue en 1979, sous la direction de Jean-François. La monographie “Analyse harmonique des mesures” publiée par Host-Méla-Parreau dans Astérisque en 1986 sera le travail emblématique de cette période.
A partir de la fin des années 70, la théorie ergodique prend de plus en plus d’importance dans les activités du groupe et leur séminaire attire régulièrement les représentants de l’école parisienne autour de Jean-Paul Thouvenot, mais aussi la plupart des ergodiciens étrangers de l’époque comme Keane, Vershik, Stepin, Bergelson, Rudolf, Iwanik, Kwiatowski… En 1983, le groupe se déplace au CIRM pour un colloque sur la théorie ergodique, auquel participe Hillel Furstenberg.
L’important article “Non singular transformations and spectral analysis of measures” publié par Host-Méla-Parreau au Journal d’Analyse Mathématique en 1991 sera leur dernière véritable collaboration à tous les trois. François est devenu professeur à Paris 13 en 1988, Bernard à Marseille en 1990. L’orientation vers la théorie ergodique est désormais complète et une deuxième partie de carrière commence pour François, colorée par l’encadrement de la thèse de Mélanie Guénais et la collaboration avec Mariusz Lemańczyk, invité régulier à Villetaneuse. Dans la thèse de Mélanie “Etude spectrale de certains produits gauches en théorie ergodique”, soutenue en 1997 à Paris 13, analyse harmonique et théorie ergodique s’entremêlent autour de la notion de “produits gauches”qui sont des extensions de systèmes associés à des cocycles. Ce sont aussi des thèmes que François abordera avec Mariusz, conjointement à la classification des systèmes dynamiques sous l’angle des couplages et de la disjonction, inventions formidables dues à Furstenberg, au coeur de la théorie ergodique qu’on pourrait qualifier de “moderne”. François et Mariusz, à l’énergie sans limite, écriront 8 articles ensemble entre 1996 et 2012.
L’un d’eux se détache, dû à Lemańczyk-Parreau-Thouvenot : “Gaussian automorphisms whose ergodic self-joinings are Gaussian” (Fundamenta Mathematicae, 2000). A partir d’un théorème d’analyse harmonique de Foiaş et Strătilă reliant ensembles de Kronecker du cercle et processus stationnaires Gaussiens, ils développent une véritable théorie de ces systèmes dynamiques d’origine probabiliste, participant à délimiter la place de cette famille importante au sein de la théorie générale.
François était aussi un enseignant passionné et engagé, arrivé à cette époque où l’Université française sortait bouleversée par Mai 68. Les facultés s’ouvraient enfin plus largement aux étudiants et s’implantaient dans les banlieues. La faculté créée à Saint Denis en 1969, qui devient Paris 13 l’année suivante pour s’installer ensuite à Villetaneuse au milieu des années 70, est un fruit typique de cette période. Avec Martine Queffélec, il participera à des enseignements pour salariés, partagera l’enthousiasme de Jean-François Méla pour les mathématiques pour non-spécialistes et les débuts de la programmation en Basic. Très attaché à la vulgarisation mathématique à destination des jeunes, il deviendra un élément essentiel (et prosélyte !) de l’association Maths en Jeans à partir du milieu des années 90 et jusqu’à la fin. Il s’occupera du Département de mathématiques et participera au Conseil de l’Institut Galilée, avec le souci, trop rare par ailleurs, de défendre toutes les catégories de personnels. François savait accueillir les nouveaux collègues, avec sa sympathie, son humour et son incapacité à prendre les gens de haut.
À son départ à la retraite en 2010, il partagea avec nous son pessimisme et son inquiétude quant à l’avenir de ce métier d’enseignant et de chercheur qui lui allait si bien et qui devenait de plus en plus dur du fait des politiques publiques désastreuses, du manque de moyens et d’une course à l’excellence absurde. Il nous souhaita à tous beaucoup de courage. Il continua à venir au séminaire de systèmes dynamiques pendant des années, amenant comme toujours avec lui la perspicacité, la modestie et la bonne humeur que nous lui connaissions tous.                                                                                           Modeste et perfectionniste, François gardait dans ses tiroirs des merveilles, restées au stade de notes qu’il avait exposées lors de séminaires et dont certaines étaient devenues mythiques dans le petit monde de la théorie ergodique. Il ne jugeait pas toujours nécessaire de pousser un travail jusqu’à la publication (au grand dam de certains collaborateurs !), à une époque où la course au nombre d’articles domine et obscurcit le paysage mathématique. Fort heureusement pour nous, malgré la fatigue et la maladie, il a trouvé, ces toutes dernières années, l’énergie de reprendre deux de ses travaux personnels. L’un est “Facteurs disjoints des transformations mélangeantes” (https ://hal.science/hal-04149182) que Mariusz, en admirateur, a présenté dans plusieurs conférences dont celle pour les 60 ans de François que nous avions organisée à Paris 13. L’autre est “On the Foiaş and Strătilă theorem” (Studia Mathematica, 2024), une extension considérable du théorème originel.
Eli Glasner l’appelait le “magicien”.                                                                                                                                                                       Salut François !